Passez
Muscade
Journal des Prestidigitateurs Amateurs et Professionnels
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ALBAN'S, pseudonyme de Monsieur de Valette (1883-19??),
fondateur du concours Magicus avec As-Thy pseudonyme de Hans-Arnold Thöni
(1874-1935), Pass pseudonyme de Auguste-Jules Drioux (1884-1937), Harry Bertall
pseudonyme de Théodore-Auguste-Louis Ruegg
(1883-1941). |
La Bibliothèque municipale de Lyon a acquis grâce au concours du FRAB (Fond Régional pour l'Acquisition des Bibliothèques)
et en faisant jouer le droit de préemption de l'Etat, la revue Passez Muscade,
journal des prestidigitateurs amateurs et professionnels fondée par
Auguste Drioux. Cette acquisition s’est faite à
Chartres, lors de la vente aux enchères qui avait pour thème
On conserve malheureusement, peu de traces d'une "activité" dans
laquelle Lyon a tenu, et tient encore, une place très importante. Son histoire
est peu connue, et pourtant de très grands noms y sont attachés, et même encore
aujourd’hui. La revue est en excellent état, mais il est possible que l'intérêt
que peut susciter son contenu, attire un grand nombre de lecteurs et pour la
conserver telle quelle a été acquise, elle sera reproduite sous forme de
microfilm mis à la disposition de tous ceux qui le souhaiteront (cote Rés. K 106 249). Aussi, il me semble important de
rappeler une partie de cette histoire, tout en mettant l’accent sur August Drioux (1884-1937).
Les " mystères de Lyon " alimentent la vulgarisation occultiste
depuis plusieurs siècles. Les Lyonnais ont réagi devant cette regrettable
réputation en produisant une pléïade d'illusionnistes
de renom, depuis le Docteur LOCARD (1877-1966), fondateur de la police
scientifique, dénonçant dans un ouvrage posthume les supercheries des médiums
ou Auguste LUMIERE (1862-1954), médecin et partisan d'un enseignement de la
prestidigitation dans les écoles.
Il s'agit d'amateurs. Parmi les professionnels, il y eut BUATIER
de KOLTA (1847-1903) l'inventeur, MOREAU (1848-1890), le manipulateur. A la
génération suivante s’effectue un regroupement lyonnais d'excellents artistes
parmi lesquels AUGUSTE DRIOUX occupe une place particulière.
Les informations le concernant sont assez nombreuses pour reconstituer sa
carrière. Les renseignements suivants sont extraits de brèves notes dispersées
dans la littérature magique. Ils ont été complétés par ses descendants,
notamment sa petite fille. Nous avons cherché à ne pas faire double emploi avec
les indications fournies par Max Dif.
Né à LYON le 3 Mars 1884, AUGUSTE DRIOUX fut, très jeune, initié à la magie par
son père lui-même amateur distingué dans la présentation des gobelets. A l’âge
de 15 ans, Auguste ou mieux " PASS " son pseudonyme, donnait déjà des
séances inspirées des " Tours faciles d’escamotages " de Caroly. Son programme comportait l'éventail à
transformation, le verre d'eau inversable, les foulards et son tour favori, la
houlette.
Avant la première guerre mondiale il se mariait avec Laure Aïssey
(1887-1961), Lyonnaise d'origine slave. En 1916, il s'associe avec Arnold Thöni (1874-1935). Celui-ci était fils d'un restaurateur
Genevois et fut toujours attiré par le cirque et le music-hall. Successivement
mime, dresseur, imitateur de cris d'animaux, d'instruments et de bruits divers,
il présenta longtemps un numéro de composition, "L'homme aux cent
têtes" sous le pseudonyme de AS-THY. Initié à la magie par un amateur de
talent, M. Maréchal, il se consacre alors à " la presti
" en profitant des conseils du Professeur MAGICUS (Adolphe Blind dit,
1862-1925). De cette association avec Auguste DRIOUX devait naître le numéro
des Té-Dé, -Té désignant Thöni "qui est la joie
du numéro" avec Dé pour Drioux "habile
opérateur ... (Ayant créé) ... quantité d’expériences".
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De l'association avec A. Drioux
devait naître le numéro des Té-Dé, Té désignant Thöni
"qui est la joie du numéro" avec Dé pour Drioux
"habile opérateur. Le trait d'union était représenté par Madame Drioux. |
Il s'agissait d'un spectacle " à grande mise en scène comportant des
expériences à effets supportant la comparaison avec les numéros les plus connus
". " Pendant dix ans ce fut un triomphe ". Le rédacteur ajoute :
" la raison sociale Té-Dé comporte un trait d'union charmant en la
personne de la gracieuse Madame Drioux qui est l'âme
de tous les grands trucs. Cette aimable collaboratrice sait aussi confectionner
avec art divers accessoires nécessaires aux prestidigitateurs ".
En effet Auguste Drioux en dehors du spectacle, de
même qu'As-Thy avait une vie magique très active qui
lui permettait d'enrichir son importante collection d’autographes, photos et
numéros de toutes sortes.
Parallèlement à ces activités artistiques, A. Drioux
se lance dans l'édition magique. Vers 1910, il fait la connaissance de Max
Cadet (Maxime-Henri-Clément Cadet dit, 1882-1914), mentaliste et cartomane, qui devient un ami sincère et un utile
conseiller. Ils publient en collaboration les cinq fascicules de " Nos
Tours Favoris " (1912-1913) et, au début de 1914, décident " de
fonder ensemble, sous le titre de PASSEZ MUSCADE , un
journal magique ". La brusque disparition de Max Cadet empêche alors cette
réalisation, mais le projet n'est pas abandonné. En mars 1916, Auguste Drioux sort le n°1 sous la forme d'un imprimée in-4°. Après
la parution de douze numéros, cette revue trimestrielle se terminera en
décembre 1918.
En mars 1919, la revue prend un nouvel aspect, elle possède un nouveau format,
in-8° et commence au n°1 sous forme imprimée, grâce à l'aide financière du Père
Gachtruc et de A. Thöni. La revue étant dirigée par les Té-Dé, le siège
social est au 303 Avenue Jean Jaurès à Lyon, pour les quinze premiers numéros
(n°1 au n°15), puis au 5 du Cours Charlemagne, pour les trois suivants (n°16 au
n°18). Ces adresses successives sont les adresses du domicile Lyonnais de A. Thöni.
En 1923, As-Thy, qui fut Lyonnais pendant vingt ans,
est obligé de quitter la ville, et, à partir du n°19 A. Drioux
assure seul la direction du journal dont le siège a migré au 9 de la rue
Bonald.
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Carte postale publicitaire de Pass
(Auguste Drioux) dessinée par Luc Mégret. |
Pour les collectionneurs précisons que la revue au début, publie quatre numéros
par an de 8 puis 16 pages, soit en 1922, 64 pages par an. Ceci jusqu'en 1924.
En 1925 et 1926, sortent seulement trois numéros, puis sept numéros en 1927,
huit numéros en 1928 et 1929 (mais avec toujours 64 pages par an). Rien en
1930, A. Drioux étant malade. La publication devient
alors irrégulière, cinq numéros en 1931 (40 pages par an), trois numéros en
1932, rien en 1933, quatre numéros en 1934 (36 pages par an), un numéro de 8
pages en 1935, la numérotation allant du numéro 1 (1919) au numéro 56 (1929)
avec pagination continue (620 pages) et une deuxième série du numéro 1 (1931)
au numéro 11 (1934), également avec pagination continue (156 pages).
En dehors de ces numéros réguliers, A. Drioux a
publié des numéros spéciaux hors numérotation, un numéro " Noël "
1923 de vingt pages s'intercalant entre les numéros 20 et 21, un numéro "
Georges Méliès " 1929 de 16 pages intercalées entre les numéros 56 et 1 de
1931, et un numéro " Noël " 1932, non numéroté, entre les numéros 7
et 8, mais paginé en continuité avec ceux-ci.
Le contenu de ces 812 pages est d'un grand intérêt. D'abord en raison de la
qualité des collaborateurs : on y trouve la signature du Professeur Magicus, de Camille Gaultier, Remi Ceillier, Abel Blanche,
et à partir de 1927, de Diavol, Georges Méliès...
Vers cette époque
Son illustration est plus soignée que celle des autres revues de l'époque :
" L'Illusionniste ", " Le Prestidigitateur " ou plus tard,
" Le Journal de la Prestidigitation ". La comparaison est facile
qu'il s'agisse des couvertures, les soixante-dix documents présentés en
couverture de chaque fascicule ont pour nous un intérêt historique évident, ou
de la qualité du choix, citons les croquis magico-humoristiques de G. Méliès.
Comme il est de règle, chaque fascicule contient des explications de tours, une
notice d'artiste, des annonces et des nouvelles. S'y ajoutent, des articles sur
les techniques, le matériel ou la présentation, plus généraux sur le
spiritisme, ou encore de nature humoristique, comme l'excellent "
Dictionnaire "... de G. Cony ou historique. Et
certains de ceux-ci donnent une valeur inestimable à la revue, en particulier,
la publication des notes et dessins de G. Méliès concernant le théâtre Robert - Houdin, partir de
1927, ou Buatier de Kolta .
Signe d'une époque : la phobie du secret. Les conditions d'abonnement à "
PASSEZ MUSCADE " sont draconiennes : " Cette publication est
confidentielle et implique l'engagement moral de ne la communiquer à personne
", ce qui amènera par exemple Théodore Ruegg,
préparant sa bibliographie à se désabonner.
Après 1935, l'édition magique Lyonnaise sera en sommeil jusqu'à ce qu'un ancien
collaborateur de " Passez Muscade ", Diavol,
lance en 1923, " les Circulaires Magiques ", puis de 1963 à 1967,
" Les Caillets de la Magie ". " Arcane " prendra la suite en
1975.
Un événement douloureux mobilise l'équipe de " Passez Muscade " et
son directeur dans la mise en route d'une entreprise de niveau international.
Le Professeur MAGICUS meurt en 1925.
A l'initiative de A. Thöni, " Passez Muscade
" et " Le Prestidigitateur " organisent un pèlerinage sur sa
tombe et ouvre une souscription pour déposer un buste sur sa tombe. Depuis
longtemps existait entre les magiciens de Genève et de Lyon un fort courant de
sympathie. Pour les concrétiser, en gare de Bellegarde, A. Thöni,
A. Drioux et T. Ruegg
fondent l'Amicale Magicus, ayant pour but de
rassembler les amis et sympathisants de A. Blind. Alban's et Diavol s'inscriront
rapidement. La même année, en 1926, A. Thöni réunit
le Comité de l'Amical et leur annonce que Madame Blind, en dehors d'une
subvention de 500 F et de 250 F à " Passez Muscade " et au "
Prestidigitateur ", verse une somme de 2000 F à l'Amical Magicus destiné à fonder un prix d'invention : le Prix Magicus, les intérêts de cette somme étant versés chaque
année au candidat sélectionné par un comité d'experts. Mick et Hem-Boy se sont
joins au comité. Cette idée fut sans doute émise par A. Thöni
qui avait déjà offert pour le Grand Concours de Passez Muscade de 1917, une
superbe coupe d'honneur gravé au chiffre de l'heureux concurrent qui remportait
le premier prix. Ce concours sera répété en 1919.
A la suite de l'initiative de " Passez Muscade " et du "
Prestidigitateur ", est posé sur le monument de A.
Blind, au cimetière du Petit Sarconnex à Genève, un
médaillon de bronze, oeuvre du Dr Dhotel.
La mise au point du concours s'effectue progressivement. Un règlement est posé.
L'examen aura lieu à Paris pour lui donner l'ampleur requise par la
personnalité de son parrain. La mise au point des modalités de réalisation
feront l'objet de plusieurs ajustements successifs.
Le premier concours est organisé à Paris le 27 novembre 1927. La médaille
vermeil est attribuée à Borosko, la médaille d'argent
au Dr Dhotel et une plaquette d'argent à Lino
Ferreira Do Nascimento, en 1928 à Ryss,
Diavol et Jehan de la vigne, en 1929 à Goy, Berry et Faugeras, en 1930 à A. Drioux, Borosko et Elie Fabus, en 1931 à Ruegg, Kessler, Renof.
En 1929 était lancée la coupe As-Thy, offerte par ce
dernier, détenue pendant un an par le vainqueur de l'année et devenant sa
propriété s'il obtient le prix deux années successives, puis quatre années à
partir de 1931.
En 1932, l'Amicale Magicus disparaît et le concours
passe sous les auspices de l'Association Syndicale des Artistes
Prestidigitateur avec un nouveau règlement. A. Thöni
disparaissait en 1935 à l'age de 61ans et A. Drioux en 1937 à 53 ans.
En 1941, était formée l'Amicale Robert - Houdin de Lyon, avec Auguste Lumière et le Dr Locard comme présidents d'honneur. Nous y retrouverons
Georges Poulleau, un ancien de l'Amicale Magicus, à partir de 1963.
Comme beaucoup de magiciens, A. Drioux à construit sa
vie autour d'un rêve d'enfance : faire des miracles comme papa. La position
géographique de Lyon a favorisé la rencontre d'amis qui lui ont permis de
réaliser ce projet. Tout art a ses composantes propres; l'illusionnisme est, à
la fois présentation visuelle qui séduit, et invention technique pour étonner
et mystifier. Il rencontra Laure Aïssey, trouva une
épouse et une partenaire pour la scène. Il s'associa à A. Thöni , rompu aux techniques
du music-hall, et se fut le numéro des Té-Dé, associant le charme, la joie et
l'invention.
Sur le plan intellectuel, il eut la chance de connaître Max Cadet qui orienta
sa démarche vers le journalisme magique, Ruegg le
bibliophile, Ceillier le scientifique, etc... et ce furent les 70 numéros de " Passez Muscade ".
Rappelons que l'aide financière de A. Thöni ne fut pas négligeable.
Enfin proche des Genevois, introduit à Paris, éditeur d'une revue Lyonnaise
d'un niveau au moins équivalent à celui du très Parisien "
Prestidigitateur ", A. Drioux et ses amis qui
formeront l'Amicale Magicus serviront d'intermédiaire
entre Madame Blind et les illusionnistes Français, ceci jusqu'au jour où une
terrible maladie l'emporte à un âge relativement jeune. Il est permis de
considérer que la personnalité de A. Drioux cristallise la vie magique Lyonnaise pendant tout
une période et que, à ce titre, il peut être considéré comme l'initiateur des
associations magiques Lyonnaises.
©
Hjalmar et
Philippe RENAULT
ARCANE n° 34, avril
1984 corrigé et augmenté en Août 1994